Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nos champs de fleurs à parfum étaient bénis des dieux et ainsi Grasse reconnu pour la qualité de ses artisans parfumeurs et de ses parfums ?


 Je vous livre ici le secret, certains parlent de la Légende d’Abelha… lisez entre ces lignes, sentez entre ces mots….


Une chaleur apaisante et réconfortante me fit ouvrir un œil, puis l’autre que je refermais instinctivement du fait de ce rayon de soleil bien trop engageant pour mes délicates pupilles. 

 Doucement, je fus invité à les ouvrir à nouveau, appelé par des odeurs qui s’entrechoquaient mais formaient une telle symphonie que ma curiosité m’appela à découvrir ce que la vie voulait bien m’offrir.

 La couleur bleue presque turquoise accompagnée d’un air salé mais aussi chaud et sablé venait m’accueillir, assise sur mon pointu les pattes ballantes, poussées d’un côté puis de l’autre par un doux mistral saturé des effluves gourmandes des pins parasols environnants et le boisé de la sève collante exsudée des chênes liège alentours.

 Mon embarcation venait d’accoster sur une plage ou seuls les gabians et quelques crabes inquiets à la démarche incongrue venaient me rencontrer. Mes sœurs cigales comme parfumées au curry, un brin d’immortelle entre leurs ailes, accrochées à l’écorce d’un pin maritime étaient là aussi. Leur chant tant aimé, joyeux et solaire pour la provençale que je suis m’apaisa tout de suite.

Je venais donc de traverser la méditerranée, non sans mal, chahutée par des flots tantôt sages, tantôt impétueux d’une mer aux effluves iodés presque transparents.

Un calice en bois de cèdre précieux à l’odeur cuirée et d’or ciselé protégé par mon manteau impérial n’avait pas échappé à ma vigilance.

Je secouais ma tête. Capturé par mon doux duvet, le pollen mielle de la captivante mais paradoxale Jacinthe aux facettes aqueuse et terreuse, cette fleur d’Apollon, dieu grec du Soleil et de la lumière, alors s’essaimait vers l’intensité lumineuse de l’astre solaire qu’il me fallait désormais suivre depuis son timide lever à son sage coucher.

 Le soleil sera mon compagnon de vol depuis cette plage parfumée jusqu’au chœur de la Cathédrale de Grasse si fièrement posée sur un éperon rocheux du Midi de la France, là où le temps dure longtemps…

Voilà, vous m’avez peut-être reconnu, je suis une abeille. L’Abelha comme disent les gens de ma Provence ….

I

infatigable butineuse née des larmes du Dieu Solaire Ra selon les pharaons d’Egypte ancienne, je suis le symbole du soleil. Je ne suis qu’une abeille mais, d’une terre sainte à une autre, je saurais emporter avec moi les essences les plus nobles, mon Maitre de cœur me l’a demandé. En effet, avant de partir des terres saintes, une colombe m’a approchée. Un rameau d’olivier en son bec et autour de son cou, un anneau sans fin sur lequel les mots de mon maitre étaient gravés….

Je pus lire : « L’ABHELLA, Prends ton envol. Tes belles ailes translucides comme l’eau vive de nos rivières doivent maintenant te porter jusqu’à Grasse. Toi l’abelha tu m’as suivi dans tous mes périples La première, tu t’es rendu seule sur les terres anciennes où tu as appris l’art de la distillation si importante pour la confection de nos parfums et la réalisation de liqueurs d’herbes bienfaisantes pour les moines qui ont façonnés nos terroirs. Moi je suis resté sur Lérina, mon ile.

Toi tu as inspiré de grand parfumeur mon Abelha, certains ont fait de toi leur symbole. Je te demande une dernière faveur mon abeille : Des pollens et essences précieuses fait un parfum, un nectar de nard…

Pour cela tu dois suivre la course perpétuelle de l’astre solaire qui te guidera Dépose au jour de la Saint Jean le calice précieux contenant le parfum dans le chœur de cette majestueuse cathédrale. En ce jour, on y fêtera le solstice d’été. Notre aimé Soleil rencontrera ton parfum. Le parfum sera le gage de notre respect envers lui …

Car Sans lui, pas d’odeur, ni de fleur, ni de plante, ni d’arbre. A L’aube les rayons de notre ami le soleil passeront sur les vitraux, et fera scintiller des milliers de teintes, de couleurs. Ses rayons caresseront l’orgue monumental à l’aurore. Au jour, de l’orgue jaillira la symphonie des parfums.

 C’est à ce moment précis que le soleil offrira sa protection et sa bénédiction aux grassois , rudes travailleurs, et à leurs champs de fleurs à parfum. Au coucher les rayons passeront sur ma statue , moi le patron des Grassois, Honorat d’Arles, ton maitre de cœur… Le soleil est un sage et comme tous les sages, il reconnait la sagesse du sommeil… Dès lors, notre ami le soleil se mettra alors en sommeil. »

Donc me voilà, l’Abelha, dans ma chaloupe sculptée à la main dans le bois de Teck embaumant l’amande, la vanille et même le caramel, moi, l’abeille venant des terres lointaines, un calice bien ventousé à mes pattes et caché sous mon manteau d’or, je suis maintenant prête. Je chalouperai d’iles en iles, d’ilots en ilots, doucement vers le monastère insulaire de mon maitre de cœur, Honorat d’Arles pour ensuite m’envoler vers sa ville aux millions de fleurs. En vol, je récolterai fleurs et fruits, baies et racines, feuilles et pollens… que le soleil voudra honorer. Les premières lueurs de l’Aube, blanchâtres, indécises et voilées, caresseront dans le jardin des Hespérides sur l’ile de mon maitre, la fleur d’Oranger, le Bigaradier et le piquant citronnier que je récolterai. L’Aurore, brillante, éclatante, révèlera sous une tiède rosée la profonde et admirable Iris, messagère des dieux grecs mais aussi l’exigeante et capricieuse Rose. Je les cueillerai. Alors que le Crépuscule, à la lumière incertaine déploiera son étole de satin parme et de velours orangé, des nuages moutonneux et rosés par les derniers rayons de l’astre solaire nommeront dans ce ciel estival, avec des lettres cotonneuses les mots de musc aussi blanc que le jasmin de notre Provence. Je les ajouterai. ………………. Ça y est, les essences sont liées, mon parfum est fin prêt…. Je m’approche de la ville enchantée… mes pattes vont flancher, ma tête pompon se met à tourbillonner ……………. L’abelha, le cœur rempli d’émotions gardant précieusement son flacon sous son manteau couleur d’hermine et d’or, survola les larges marches de la Cathédrale de Grasse, pour y déposer en son chœur l’hommage olfactif rendu au soleil … Les fleurs, les arbres, les mers, les eaux vives, tous avaient déposés dans ce flacon au moins une minute de leur temps. Dans ce pays ou le temps dure longtemps pouvait pour Abelha alors durer une éternité. Le matin de la Saint Jean le soleil était là. Ses rayons délicats firent étinceler de mille couleurs les magnifiques vitraux. Les couleurs éblouissantes transportèrent Abelha vers l’indéfinissable. Tandis que les vitraux de l’ouest de leurs lumières caressaient l’orgue de la cathédrale, les vitraux de l’est faisaient découvrir à Abelha sous une intense luminosité le visage de son maitre taillé dans la pierre. Passant sur les tableaux de maitre Fragonard et de Maitre Rubens la lumière fit battre le cœur de l’Abelha…. Tant de beauté et de perfection !! En balayant son regard, Abelha perçu au sol une dalle au centre du Chœur. Elle sut d’instinct que c’est précisément ici qu’ elle devait y déposer le parfum.

 Tout d’un coup, au midi solaire le petit flacon fut éclairé par un rayon de soleil qui pénétrait par un petit trou fait dans un des vitraux ; Nous sommes le 24 juin, jour de la Saint Jean. Le soleil a reçu son hommage ….dès lors jusqu’à la fin des temps , les grassois et leurs champs étaient protégés ….et c est pourquoi on peut parfois entendre aux détours des ruelles de Grasse, des passants chuchoter :

»Grasse est une terre bénie des dieux ».